Le célèbre portrait Shot Sage Blue Marilyn, oeuvre d’Andy Warhol réalisée en 1964, deux ans après la mort de l’icône glamour d’Hollywood, a été adjugé en quatre minutes au prix de 195 millions de dollars, lors d’une vente particulièrement prisée qui a rassemblé un public nombreux chez Christie’s NYC ce 9 mai 2022, devenant ainsi l’œuvre d’art du XXe siècle la plus chère jamais vendue lors d’enchères publiques. Le portrait de Marilyn bat le précédent record pour une œuvre du XXe siècle, Les femmes d’Alger de Pablo Picasso vendue aux enchères pour 179,4 millions de dollars en mai 2015.
Si l’œuvre et le personnage d’Andy Warhol ont profondément transformé les principes de la création artistique, c’est sans doute que le Pop Art qui se déploie aux États-Unis dans les années 60 procède d’une appropriation du réel sur le mode du constat dénué d’affect, sans prétention critique, manière de désacraliser l’art et de s’émanciper de la sublimation. En ce sens le Pop Art témoigne d’une post-modernité dont les manifestations se repèrent dans le fétichisme marchand d’une société de consommation effrénée et pulsionnelle et dans le spectacle du relativisme culturel où tout est ramené au même plan, diluant ainsi la dimension d’exception.
La figuration aseptisée du quotidien
La figuration du quotidien le plus banal fédère un nouveau mouvement artistique qui prend le pas sur l’expressionnisme abstrait jusqu’alors prépondérant. Un mouvement en rupture vivement décrié à ses débuts, autant pour l’irrecevabilité de ses sujets que pour ses techniques de production qui mettent au second plain la main de l’artiste et l’authenticité de l’œuvre unique. Les ready-made de Duchamp, dont Andy Warhol admirait le travail, ont ouvert la voie à une banalisation de l’œuvre d’art qui a été poussée à l’extrême par les artistes du pop art. Comme s’il s’agissait de gommer toute différence entre l’image et sa picturalité, ces derniers se sont distingués du geste artistique traditionnel, abandonnant la peinture à l’huile et son épaisseur mémorielle de l’accomplissement de l’œuvre pour se tourner vers des matières de synthèse comme l’acrylique, avec pour résultat des surfaces plates, lisses, sans mystère et sans traces. Avec Warhol, la désacralisation de l’art va mettre en crise les critères esthétiques : « Tous les tableaux devraient être de la même taille et de la même couleur de sorte qu’ils seraient interchangeables et que personne n’aurait le sentiment d’en avoir un bon ou un mauvais ». Ce genre d’assertion exprimée par Warhol suscite toujours une interrogation : quelle est la position de l’artiste ? Critique ou cynique ?

L’univers visuel du Pop Art
En 1962, Warhol inaugure ses séries de Campbell Soup. De multiples expositions commencent à lui être consacrées, organisées par des galeristes d’avant-garde à NewYork et Los Angeles. Si en Europe, nombre d’artistes et d’intellectuels incarnent une posture critique quant aux dérives d’un système marchand poussé à son paroxysme, telle n’est pas la position des figures du Pop Art américain qui ne dénoncent pas mais représentent le rêve américain moyen comme tel, sur le mode du constat de l’état de fait. L’univers visuel des Pop artistes s’inspire du mode de vie métropolitain (les stations services d’Ed Ruscha, les voitures de James Rosenquist…) et domestique (les salles de bains de Tom Wesselmann), de la publicité (les marques déclinées par Warhol, les cigarettes emblématiques de nombre d’œuvres dont celles de Ruscha et Wessellmann), les loisirs (les comics, la télévision , le cinéma et les bars sont des thèmes récurrents). C’est toute une iconographie du quotidien qui irrigue la création. Pour Warhol, « L’art, c’est déjà de la publicité. La Joconde aurait pu servir de support à une marque de chocolat, à Coca-Cola ou à tout autre chose ». L’image de la réussite dans une Amérique faisant figure de référence et de norme culturelle mondialisée se retrouve dans la représentation des stars et des super héros. Warhol affirme avoir mangé presque uniquement des soupes Campbell’s pendant toute une période et en avoir goûté toute la gamme, ce qui confère une dimensionnée singulière à son œuvre, dimension pourtant éludée par la réplication qui témoigne de l’uniformisation des modes de vie à l’ère de la consommation de masse. Avec le pop art, le réel devient image, et ainsi objet de fascination. « Tout est plus ou moins artificiel. Je ne sais pas où s’arrête l’artificiel et où commence le réel », suggérait Andy Warhol.
La Factory ou la production d’œuvres d’art à la mesure industrielle, épicentre du New York underground
Warhol, comme nombre d’artistes pop, a débuté dans l’illustration publicitaire et l’on retrouve les codes de l’efficacité visuelle dans les œuvres aux couleurs saturées. De nouvelles techniques sont expérimentées, qui brouillent résolument la frontière entre création et production, posant la question de l’originalité de l’œuvre. La Factory de Warhol est emblématique de cette nouvelle manière de concevoir les œuvres, en série, en flux continu, selon des procédés venus de l’usinage industriel. Pour Andy Warhol, la répétition vise la vacuité : « Plus vous contemplez quelque chose d’exactement identique, plus la signification s’en va, et plus vous vous sentez mieux, plus vous vous sentez vide », affirmait-il. Reproduction, duplication, sont effectuées par des équipes d’assistants qui associent photographie et sérigraphie. Dans une interview à Art News, Warhol a exprimé sa fascination pour l’univers mécanique et froid des modes de fonctionnement sans affect : « Tous se ressemblent, et se comportent de même façon, tous les jours davantage. Je pense que tous devraient être des machines. Je pense que tous devraient s’aimer. Le Pop art, c’est aimer les choses. Aimer les choses veut dire être comme une machine, parce que l’on fait continullement la même chose. Je peins de cette façon parce que je veux être une machine ». C’est en 1963 que Warhol a installé son atelier dans un espace industriel désaffecté de la 47è rue. Billy Name avait recouvert les murs, plafonds et sols d’aluminium, ce qui provoquait des reflets, finalement allégorie de cette « monstration » dont procèdent les œuvres du mouvement pop art. En 1968 la Factory se délocalise sur Union Square et devient à la fois galerie d’exposition, studio de tournage, salle de projection, salle de concert, boîte de nuit, épicentre du New York underground. Lou Reed, Nico, Brian Jones, Mick Jagger, Dennis Hopper, Truman Capote, Basquiat, entre autres, ont fréquenté la Factory. Au centre de cette scène , Warhol se présente comme un artiste total entremêlant œuvres picturales, expérimentations cinématographiques et mode de vie hors normes qu’il donne à entrevoir dans ses films sur la Factory dignes d’une télé-réalité avant l’heure.

Warhol, personnage subversif et clivant
Warhol revendique une posture d’homme d’affaires de l’art et valorise le succès en affaires. « Etre bon en affaires, c’est la forme d’art la plus fascinante ». Attitude subversive, voire sulfureuse, qui participe de la composition de son personnage, qu’il façonne comme une véritable marque commerciale. Provocation, cynisme ? Le personnage et ses mises en scènes de la démesure sont éminemment clivants, en témoigne une saillie au vitriol de l’historien français Marc Fumaroli dans son ouvrage Paris NewYork et retour, voyage dans les arts et les images : « Le transfert au musée du contenu du supermarché est à coup sûr une manifestation du patriotisme américain, impatient d’avoir tremblé longtemps devant le « bon goût » aristocratique et paysan de l’Europe et n’admettant pas que la « seconde nature» mécanique, industrielle et commerciale, dont l’a pourvu en quantité la Providence divine, cédât le pas devant le naturel et la qualité des arts des anciennes civilisations. Cela suffit pour comprendre le succès phénoménal du Pop art en général, mais non la figure singulière d’Andy Warhol, qui échappe de tous côtés aux limites de cette école et dont l’« œuvre» très inégale vaut beaucoup moins par elle-même que comme collection de reliques sacrées d’un saint et d’un martyr, non de l’art, mais du «siècle américain » dont il a joué la comédie sans flancher. C’est la personne ectoplasmique de Warhol, sa face de clown lunaire, sa moumoute colorée en hérisson et sa silhouette d’éternel adolescent indifférent et lymphatique, reproduites jusqu’à plus soif, y compris par ses soins, qui exsudent une aura d’ennui accablant et fascinant, dont tous les objets qui lui ont appartenu et les œuvres portant sa signature conservent une trace. Dans le succès vide de sa vie et dans son image vampirique se profile une dimension religieuse clandestine que les transgressions compulsives de ses sérigraphies et de ses films publiés suggèrent plus qu’elles ne l’imposent. Ce comte Dracula las et glacial de l’art comme marché n’en a pas moins été possédé par une activité d’homme universel du bluff, dont il a occupé toutes les vitrines ».
La postérité d’Andy Warhol : un artiste culte devenant intemporel.
La mort de Warhol en 1987 marquera la fin d’une époque, et son œuvre bénéficie depuis d’une aura à la mesure du statut quasi mythique de l’artiste. Chaque nouvelle exposition ou rétrospective qui lui est consacrée suscite un engouement qui ne semble jamais s’essouffler, donnant paradoxalement à l’artiste incarnant les années 60 une dimension de figure intemporelle. Le marché de l’art réserve toujours un accueil ambitieux aux œuvres de Warhol. Récemment, deux œuvres ont été adjugées à des enchères exceptionnelles lors des ventes d’automne des grandes maisons. Nine Marylins, oeuvre en noir et blanc et Sixteen Jackie, issues de la collection Mackelowe ont été vendues respectivement 47,3 millions de dollars et 33,8 millions de dollars par Sotheby’s à NYC. Warhol fait partie du cercle restreint d’artistes dont le prix d’enchères a dépassé les 100 mille de dollars. L’œuvre monumentale Silver Car Crash (double disaster) de 1963 avait été adjugée pour 105,4 millions de dollars chez Sotheby’s NewYork en 2013 et Warhol a souvent occupé la première place du podium pour la valorisation cumulée de ses œuvres. Dernier record en date : le 9 mai 2022, son célèbre portrait de Marilyn devient l’œuvre d’art du XXe siècle la plus chère jamais vendue lors d’enchères publiques pour une vente à 195 millions de dollars.

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