Chazme
(1980)
« L’observation de l’architecture et des mouvements urbains est souvent un point de départ pour mon travail, mais plus que les formes ce sont les ressentis que je cherche à transposer dans mes compositions chromatiques abstraites : comment chacun appréhende ces géométries qui formatent la manière d’habiter le monde ? La couleur nuance l’expérience d’un univers formel pour en interroger le sens ou le non-sens. »
Chazme (Daniel Kalinski) est né à Laufen en 1980 et à grandi entre la Suisse et la Pologne, marqué par les destins contrastés de ces deux pays alors que l’Europe se réorganisait après la chute du mur de Berlin. Il s’est initié très jeune à la peinture, trouvant dans les formes et les couleurs une manière d’inscrire et d’affirmer son propre cheminement subjectif au sein d’une famille plutôt portée vers la musique classique. Il s’est rapidement intéressé au graffiti alors en plein essor, tout en poursuivant une expérimentation picturale sur toile. Ces deux orientations sont longtemps restées différenciées dans l’approche de Chazme, avant que les résonances entre l‘espace public et l’atelier viennent nourrir son propos artistique. Son intérêt pour l’architecture a probablement contribué à rapprocher ces deux pratiques : Chazme est diplômé en architecture et planification urbaine de l’université de technologie de Varsovie. Alors que ses premières recherches picturales privilégiaient les portraits, la figuration et les scènes de rue, il se tourne vers l’abstraction formelle, à l’inspiration de l’observation de la géométrie des grands ensembles urbains qui lui apparaissent comme métaphoriques de la dissolution du lien social et de l’aliénation de l’homme objectivé dans un dédale forclos dénué de sens et de signification. Les utopies architecturales postmodernes supposées émanciper l’Homme ont pour effet paradoxal de l’isoler dans une désaffiliation et une immense solitude ; elles sont un prisme qui permet d’interroger la condition humaine et les mutations civilisationnelles. C’est indéniablement ce regard réflexif et critique sur l’architecture qui irrigue les compositions singulières de Chazme.
Ses fresques murales s’intègrent dans le cadre de la structure des bâtiments et se confondent avec le design architectural pour une proposition graphique qui enchante la géométrie implacable d’un relief poétique de formes et couleurs, soulignant en contrechamp la brutalité totalitaire de ces ensembles de murs. Si le travail en espace public est préparé en amont, il s’autorise cependant toujours d’une part d’improvisation dans l’acte et la gestuelle créative, selon la perception incarnée de l’artiste in situ.
En atelier, Chazme se donne plus de temps pour développer sa recherche esthétique, à partir d’une vision du rapport de l’Homme à l’artefact urbain. Ce sont avant tout les ressentis subjectifs de l’individu aux prises avec son environnement construit que l’artiste cherche à transposer dans ses compositions de plans-reliefs et de nuances chromatiques. La couleur est alors un médium privilégié pour transcrire des sensations qui échappent aux mots, d’où une atmosphère onirique qui émane de ses œuvres. La colorimétrie s’est enrichie au fil de son exploration, intégrant toute la richesse conceptuelle qui s’élabore de la dynamique du paysage urbain. Naturellement, l’artiste envisage un prolongement de son travail pictural vers la sculpture. Les œuvres de Chazme nous entraînent au-delà des murs, vers des horizons délestés de la pesanteur des espaces-forteresses, et nous invite à trouver dans la subtilité d’un langage visuel l’issue des labyrinthes de nos enfermements.
