Geronimo aka Jumping Bull
« Ma démarche est instinctive, sauvage et sans limite. Ma technique est de ne pas en avoir. La diversité de ma création est à l’image de mon hédonisme et ma résilience ».
Geronimo aka Jumping Bull est un plasticien iconoclaste, un artiste autodidacte formé par une existence trépidante et des rencontres extraordinaires. Il vit et travaille entre l’Europe (la Belgique notamment) et les Etats-Unis, et c’est du monde entier que se nourrit sa recherche créative. Son parcours tient du roman initiatique plus que du CV aux lignes aseptisées. Une enfance de Native American en partie passée dans une réserve du Dakota, puis New-York et le Canada où il apprend le français avant de rejoindre l’Europe où il va vivre plusieurs vies et développer mille projets : des affaires, un groupe de musique électro, la création artistique débutée comme une thérapie pour cesser de se perdre parfois aux marges de la légalité et partie intégrante de sa réhabilitation sociale. Des premières œuvres très vite repérées, avec une toute première exposition dans un musée d’art brut à Bruxelles puis rapidement à l’international et dans des galeries. Geronimo partage son temps entre ses différents ateliers dont un studio de création à la taille monumentale de ses projets, qui tient aussi lieu d’espace muséal où sont mis en scène nombre d’exemplaires de ses œuvres et expérimentations emblématiques. Un lieu refuge que quelques proches peuvent pénétrer, où l’artiste se ressource en même temps qu’il pense les œuvres en devenir.
L’artiste est avant tout un expérimentateur qui défie les impossibles. Ses techniques n’ont rien de conventionnel : elles sont souvent le fruit du hasard de ses essais et recherches, toujours en lien avec l’idée ou le message qui sous-tend l’œuvre. L’œuvre s’élabore en premier lieu dans la pensée, puis vient le faire, qui a sa propre dynamique dans l’acte créatif. Jumping Bull est un plasticien qui qualifie sa démarche de création instinctuelle. L’inspiration lui vient d’une vie extraordinaire, riche de rencontres improbables : rock stars, sans-abris, rabbins, politiques. La musique reste cependant le centre névralgique de son travail. Portraits de légendes du rock en représentation démultipliée sur différents types de supports pour un effet cinétique saisissant, œuvres en 3D aux formes des mythologies du rock avec un sens de la scénographie (guitares géantes, vinyles monumentaux en polyester aux microsillons réalisés avec des moules sur mesure dans les ateliers de presse de disques, langues des Rolling Stones – des amis et compagnons de route dont il a signé des décors de tournées, les premiers à légitimer son statut d’artiste – , des moulages en différents matériaux ou agglomérats d’éléments recyclés comme la fameuse langue en canettes de coca dont un exemplaire figure dans la collection du Guggenheim NY. Une autre série de langues en compressions de pneus fait écho à la route, les tournées, quintessence de l’esprit rock. Autant de fétiches de l’univers rock que l’artiste décline sous tous formats, en stylisations originales. Ce travail sur la matière qui en défie les possibles et en détourne l’usage dans des prototypes inédits, inspiré des objets iconiques associe de façon singulière des antagonistes que sont l’esprit malicieux du pop-art et la démarche empreinte de sens de l’arte povera.
Geronimo est un personnage haut en couleurs, lui qui ne peut percevoir le monde qu’en nuances monochromes de noirs, blancs et gris en raison d’une achromatopsie, un personnage qui joue volontiers de l’exubérance et de la démesure. Mais comme les vinyles qu’il affectionne, la face B du personnage révèle un envers d’humilité et de générosité qui le rendent attachant d’humanisme. Lui qui a connu le béton de la rue et l’errance n’a de cesse de développer des projets caritatifs. Il s’occupe d’une association d’aide aux sans-abris de NYC, organise des fêtes de Noël pour les SDF de Bruxelles. Nombre de ses expositions présentent des séries d’œuvres destinées à récolter des fonds qu’il reverse à la réserve de son enfance et à des actions humanitaires dans divers pays. Il doit un dîner de rencontre avec Barack Obama à l’audace d’une proposition adressée à la Maison Blanche pour la réélection du président américain : la réalisation d’une exposition itinérante de 50 portraits d’Obama dans 50 états américains au fil des déplacements de campagne pour le second mandat. L’idée a séduit, les ventes ont été intégralement versées à des fonds caritatifs. Auparavant, Geronimo avait réalisé une série représentant les sans-abris au travers de toiles, sculptures et installations inspirées de photographies. Un travail à partir de poudre de pierre et de pigments pour transcrire le décor rugueux et gris de la rue, mais qui s’illumine incidemment de feuille d’or pour dessiner les traits du caddie d’un SDF comme seule richesse. Des œuvres puissantes et bouleversantes qui tranchent avec l’hubris de ses séries de « rock art », pour raconter le monde en ombres et lumières, en faces sombres et décors d’artifices. La musique est une inspiration centrale, mais le silence est aussi cet espace de retenue. L’œuvre de Geronimo oscille entre dérision et gravité, à l’image de l’artiste qui revendique à la fois une existence illuminée de plaisirs et jouissances et une sensibilité fraternelle à l’égard des invisibles et laissés-pour-compte qui occupent l’envers du décor. La surperficialité n’est jamais que l’enveloppe de la profondeur. Son chemin de vie est marqué d’une résilience spectaculaire : la marque d’un destin inscrit dans son nom de tribu, Jumping Bull, celui qui passe tous les obstacles de l’existence, nom donné non pas à la naissance mais à l’entrée dans l’âge d’homme, lorsque la personnalité s’est révélée et suffisamment caractérisée pour être nommée.
Parmi les recherches plastiques remarquables qui jalonnent le parcours de Geronimo, on trouve des œuvres réalisées avec des épices utilisées comme ressources de pigments et textures, une manière de « peindre » les couleurs que son œil ne distingue plus grâce au repère des parfums associés à des nuances chromatiques. Une série venue de cette technique, notamment, est inspirée de la tauromachie et de ses costumes, avec effets de volumes et de drapés sur toile. L’artiste a également réalisé des œuvres aux effets de double vision en transparence de vernis, notamment en lien avec les problématiques du judaisme : des tableaux noirs auxquels les nazis n’auraient prêté aucune attention et qui pourtant regardés depuis un certain angle révèlent des portraits de rabbins, hommes d’états israéliens, parchemins de la mer morte en feuille d’or… Dans le même esprit, le code kabbalistique n’apparaît dans un tableau que lorsque les lumières s’éteignent : le tracé de l’arbre se dévoile alors en phosphorescence. La technique est toujours au service d’une idée, un concept à transcrire, une philosophie à transposer dans une création originale qui est intrinsèquement porteuse de sens. Des sculptures monumentales sur le thème du mur des lamentations, fidèles au tracé et à la végétation, réalisées avec de la terre d’Israël, complètent tout un travail autour du judaisme. Le Petit Prince, conte philosophique universel lu et relu avec différents enseignements au fil de l’existence, a donné lieu à une série de planètes géantes en 3D, sur lesquelles figurent des scènes picturales issues du récit initiatique. « Il profita d’une migration pour s’envoler », ou comment chacun trouve-t’il à s’inscrire dans l’espace-temps d’un monde qui nous dépasse ? Qui est-on dans la Nature, que Geronimo ne représente pas, comme on s’abstient, par humilité, de représenter une divinité, pour lui source et ressource inspirante, définitivement la plus grande artiste de tous les temps. L’œuvre de Geronimo incarne une intensité de l’existence dans toutes ses nuances, de ce qui nous atterre à ce qui nous met en transes.
