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Une accélération législative du processus de restitution des oeuvres spoliées par les nazis figurant dans les collections nationales françaises

Tardivement mais désormais soutenu par la législation spécifique de plusieurs pays, le long, patient et émouvant travail de restitution des œuvres d’art spoliées par les nazis aux héritiers des familles juives marquées par la barbarie du XXe siècle se poursuit, chargé d’histoires singulières qui irriguent le devoir de mémoire.

Après l’Allemagne, la France est le pays qui a enregistré le plus de demandes de restitutions. En effet, 100000 œuvres et objets d’art auraient été saisies en France pendant l’occupation. 60 000 d’entre eux ont été retrouvés en Allemagne à la Libération et renvoyés en France, parmi lesquels 45 000 ont pu être relativement rapidement restitués à leur propriétaire. Sur les 15 000 restants, environ 2000 ont été confiés aux Musées Nationaux sous le statut de « Musées Nationaux de Récupération » (MNR) par décret du 30 septembre 1949 et les 13000 autres ont été vendus par l’Administration des Domaines.

Une institutionnalisation des procédures de restitution.

La politique allemande de réparation des crimes nazis a contribué à encourager les actions menées pour retrouver les œuvres pillées dans toute l’Europe et les restituer aux ayants-droit. Ce long processus a connu une accélération majeure grâce à la Déclaration de Washington (Washington Conference Principles on nazi confiscated art) qui s’est tenue le 3 décembre 1998. Cette déclaration de Washington prend acte du fait que les différents pays concernés par les demandes de restitution sont chacun soumis à une législation nationale spécifique, ce qui complexifie les procédures pour des ayants-droit répertoriés dans le monde entier. La Conférence invite alors au recensement et à la constitution d’un fichier d’archives internationales, un registre permettant de centraliser toute l’information avec mise à disposition de personnels et de moyens communs, de façon à déployer tous les efforts nécessaires pour retrouver les héritiers si ces derniers ne se sont jamais manifestés. La Conférence encourage les nations à mettre en place des processus nationaux pour appliquer ces principes en fluidifiant le règlement des questions relatives aux droits de propriété.

Le processus de restitution des œuvres spoliées en France.

En France, une loi était nécessaire pour procéder à la restitution des œuvres spoliées qui sont à l’époque entrées « légalement » dans les collections publiques nationales. Bien évidemment, la restitution des œuvres recensées aujourd’hui chez des particuliers ou dans des structures privées se met en place par des procédures juridiques retraçant les parcours d’acquisition afin de trouver un accord permettant de les remettre aux héritiers des familles juives spoliées. Par ailleurs les œuvres sous statut MNR (musées nationaux de récupération) peuvent être restituées par décision administrative. Mais s’agissant des œuvres figurant aujourd’hui dans les registres des collections publiques, une loi s’imposait car un vide juridique empêchait jusqu’à présent de déclasser les œuvres en raison du principe d’inaliénabilité des collections publiques. La base de données Rose-Valland créée en 1997 par le service des Musées de France a constitué un levier précieux pour faciliter la recherche des propriétaires spoliés. L’engagement de Rose Valland, conservatrice de musée et résistante, a été déterminant en France. Pendant la guerre, attachée de conservation au Jeu de Paume, elle recense les agissements des Allemands qui réquisitionnent le musée pour y stocker les œuvres spoliées. Le Jeu de Paume fait office de dépôt central avant l’envoi des biens par train en direction de l’Allemagne. Rose Valland relève les œuvres, les noms des propriétaires spoliés, les destinations d’envoi et quand elle le peut les noms des destinataires. Un travail discret accompli pendant quatre ans qui a permis de fournir des informations essentielles à la résistance. En 1944, elle sera nommée secrétaire de la Commission de Récupération Artistique mise en place à l’initiative de Jacques Jaujard, haut fonctionnaire résistant nommé directeur des Arts et des Lettres, reconnu pour ses initiatives ayant permis de mettre à l’abri les collections des musées pendant la guerre. Dans les années d’après-guerre, sa contribution au rapatriement des œuvres depuis l’Allemagne sera décisive. En 1979, un an avant sa mort, elle dépose ses archives personnelles à la Direction des Musées Nationaux, archives qui constitueront le socle de la base de données actuelle portant son nom en hommage à son héroïsme.

La Conférence de Washington et son application en France.

Dans le prolongement de la Conférence de Washington et à l’appui d’une prise de conscience de la nécessité d’accélérer le processus de restitution a été créée, dans un premier temps, une mission de recherche et restitution auprès du Ministère de la Culture : la CIVS, Commission pour l’Indemnisation des Victimes de Spoliation mise en place par décret et arrêté. Dans le prolongement des travaux de cette commission, Le 21 février 2022, une loi [n°2022-228] permettant la restitution des œuvres des collections publiques spoliées par les nazis ou acquises dans des conditions troubles en raison des persécutions antisémites a été votée à l’unanimité avec applaudissements par l’Assemblée Nationale (unanimité des seuls 97 députés présents…) et le Sénat, sous l’impulsion de Roselyne Bachelot alors Ministre de la Culture. On note que le terme de spoliation recouvre aussi bien le pillage, le vol, la confiscation, la vente forcée et les acquisitions à prix vils opérés dans le cadre des mesures d’aryanisation qui avaient permis au régime de Vichy de priver les juifs de leurs biens. Cette loi de 2022 ouvre dérogation au principe d’inaliénabilité des biens de personnes publiques qui relèvent du domaine public inscrit à l’article L3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Cette procédure concerne initialement 15 œuvres majeures parmi lesquelles douze ont été restituées aux héritiers de l’avocat juif Armand Dorville.

La restitution de 15 œuvres en 2022.

Les 12 œuvres restituées aux ayants-droit de la famille Dorville étaient inscrites aux collections du Louvre, d’Orsay, et du Château de Compiègne. Les œuvres avaient été acquises par l’État en 1942 lors de la vente de la collection Dorville à Nice après sa mort en 1941. Une vente alors « aryanisée » par les autorités de Vichy, dont le produit a été confisqué aux héritiers qui ont été déportés et assassinés au cours des mois suivants.

En mai 2022 un tableau de Maurice Utrillo, Carrefour à Sannois (1937) a été restitué aux légataires de son propriétaire spolié. L’œuvre était conservée au musée Utrillo Valadon à Sannois dans le Val-d’Oise. La toile d’Utrillo appartenait au marchand d’art Georges Bernheim, domicilié dans le 16e arrondissement de Paris, quand elle a été volée par les nazis en 1940. Elle était réapparue à l’occasion d’une vente aux enchères chez Christie’s en 1975 avant d’être de nouveau mise en vente chez Sotheby’s Londres en 2004 où elle avait été acquise par la mairie de Sannois pour un peu plus de 100 000 € à destination des collections du musée Utrillo Valadon. Le musée n’aura connaissance du parcours de la toile qu’en 2015 et la Mairie a pu voter le déclassement de l’œuvre en 2018 avant restitution dans le cadre de la loi 2022. Les ayants-droit de Georges Benrheim avaient auparavant soumis une demande à la CIVS qui a donné un avis favorable à la restitution à l’appui des éléments de recherche fournis.

Restitution de "Rosiers sous les Arbres", tableau de Klimt, aux ayants-droit de Nora Stiasny.

Grâce à cette loi de 2022 le Musée d’Orsay a pu restituer une œuvre de Klimt, Rosiers sous les arbres, aux ayants-droit de Nora Stiasny. L’œuvre avait été spoliée en 1938 par une vente sous contrainte à prix très inférieur au marché. Le tableau était à l’époque intitulé Pommier II. Nora Stiasny, déportée et assassinée en 1942 avec sa mère, son mari et son fils, était la nièce des collectionneurs autrichiens Viktor et Paula Zuckerkandl qui avaient acquis la toile peu après sa réalisation en 1905. Pommier II avait été prêtée pour des expositions à Vienne, Munich ainsi qu’à la biennale de Venise en 1910. L’œuvre figurait dans les collections nationales françaises et était exposée à Orsay après avoir été acquise légalement en 1980 sur le marché de l’art, auprès de la galerie Nathan, sans qu’aucun élément ne laisse alors présumer d’une provenance douteuse. Il s’agissait du seul tableau de Klimt dont la France était propriétaire. Lors de la transaction, comme c’est le cas pour toutes les acquisitions opérées par l’État français, approbation avait été donnée par le conseil artistique des musées nationaux, sur la base des informations alors accessibles quant à l’histoire du tableau. Le parcours de la toile n’a été retracé qu’au cours de ces dernières années grâce à une chercheuse autrichienne indépendante, Ruth Pleyer, en collaboration avec la Galerie du Belvédère à Vienne et le Musée d’Orsay. Les recherches ont permis de découvrir que l’homme qui avait déposé la toile à la galerie Nathan était le nazi autrichien ayant acheté l’œuvre à prix vil. Les héritiers ont été invités à faire une demande de restitution. La toile carrée de 1,10 m par 1,10 m figure un pommier se déployant sur toute la surface en camaïeux de verts et ors, sous lequel éclot un rosier. Une toile post-impressionniste assez atypique de Klimt qui a peint très peu de natures et de paysages.

La ministre de la Culture Roselyne Bachelot devant « Rosiers sous les arbres » de Gustav Klimt. - ©ALAIN JOCARD/POOL/AFP

Restitution du "Père", portrait de Marc Chagall.

Cette loi de 2022 a permis la restitution d’une œuvre hautement symbolique de Chagall, Le Père, œuvre au destin emblématique de la face sombre du XXe siècle. Tableau peint en 1911, volé dans l’atelier parisien que Chagall a été contraint d’abandonner durant la première guerre, il se retrouve en vente à Varsovie en 1928. David Cender, musicien et luthier polonais, en fait l’acquisition. En 1940 la famille Cender est déportée dans le ghetto de Łódź et leurs biens sont confisqués. Rescapé des camps, alors que sa femme et sa fille y ont été tuées, le musicien s’installe en France en 1958. Les autorités allemandes, à l’appui de la loi Brug, n’ont cependant jamais pu localiser l’œuvre et ce n’est qu’en 2020 que le tableau a pu être identifié dans les collections du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme à Paris. Après-guerre, l’œuvre s’était de nouveau retrouvée sur le marché et Chagall, attaché à sa symbolique, l’avait rachetée. Elle fera partie de la dation de ses héritiers à l’État français. La restitution du Père de Marc Chagall réinscrit une généalogie et une transmission qui sont les fondements de notre monde commun civilisé.

Restitution par les Pays-Bas d’une œuvre de Kandinsky et record d’enchères.

D’autres pays en Europe mènent des procédures de restitution tout aussi chargées de symboles. Une vente aux enchères record de mars 2023 a pu ainsi mettre en lumière le parcours d’une toile de Kandinsky adjugée à près de 42 millions d’euros par Sotheby’s Londres. L’histoire du pour un tableau est à la fois tragique et emblématique. L’œuvre, Vue de Murnau peinte en 1910, spoliée pendant la 2nde guerre mondiale, a été restituée l’an dernier aux héritiers de la famille Stern-Lippmann, influents collectionneurs allemands. Margarethe Stern, veuve de Edgar, a été arrêtée en 1943, déportée et assassinée à Auschwitz. Sa fille et son gendre mourront dans les mêmes conditions et seuls deux autres enfants survécurent. En 2020, Roselyne Bachelot Ministre de la Culture avait annoncé au nom de l’Etat français la restitution de sept œuvres ayant appartenu à la famille Stern, œuvres faisant partie des biens dits MNR. Mais c’est des Pays-Bas qu’à été restituée cette toile le Kandinsky. Après-guerre, elle était réapparue en 1951 au musée d’Eindhoven où elle est restée jusqu’à sa restitution par l’Etat néerlandais en 2022. Kandinsky (1866-1944) déploie dans cette nature datant de sa première période picturale une palette de couleurs vives pour représenter le village bavarois où il s’est installé de 1907 à 1913. La disposition du plan en aplats contrastés, inspirée par le fauvisme et ses couleurs vives, préfigure son évolution vers des compositions abstraites. Les éléments figuratifs de la toile apparaissent dans une forme qui tend vers la stylisation des lignes et l’intensification des couleurs. Il développera d’ailleurs une théorie de la radicalité de la couleur dans un ouvrage publié un an après la réalisation de cette toile, “Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier” (1911). Une œuvre marquante de la transition opérée par Kandinsky, avant son orientation vers une recherche autour de l’abstraction géométrique aux couleurs franches affirmée pendant sa période Bauhaus. Cette vente record fait ainsi figure de témoignage de l’Histoire de l’Art au XXème siècle, à la fois pour le traitement barbare dont il fut l’objet pendant la sombre période de la seconde guerre mondiale et s’agissant du rôle joué par la couleur dans la transition entre art moderne et contemporain, entre figuration et abstraction. L’acheteur est resté anonyme mais l’œuvre va être présentée en 2023 après cette vente record dans le cadre de l’exposition After Impressionism: Inventing Modern Art qui se tiendra à la National Gallery de Londres entre le 25 mars et le 13 août.

Un long travail loin d’être terminé…

Un nouveau texte de loi est prévu en 2023 sous l’impulsion de Rima Abdul Malak pour accélérer le mouvement de restitution concernant les biens culturels juifs spoliés. Les restitutions des œuvres font partie du devoir de mémoire et il en va de ce qui nous humanise. Face a l’horreur de la Shoah, crime de l’Autre, crime de l’origine, la portée symbolique d’actes forts vient sceller ce pacte qui nous réunit contre la barbarie.

Le tableau "Le Père", de Marc Chagall, a été restitué aux ayants-droit de son propriétaire Marc Cender, spolié par les nazis pendant la Seconde guerre mondiale. - ©ANNE CHEPEAU/RADIO FRANCE

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