Geronimo aka Jumping Bull voit la vie en noir et blanc, c’est peut-être pour cela que son existence est haute en couleurs. Une achromatopsie réduit son champ de vision aux nuances de gris, les couleurs n’existent que dans sa mémoire et pourtant le personnage est flamboyant : son parcours et son art résolument iconoclastes s’accommodent mal avec les conventions et les raisons closes qu’il s’emploie à bousculer non sans panache. Pour autant, ce serait mal connaître Geronimo que le réduire à l’esprit rock et aux lumières de la scène qui inspirent une partie majeure de son travail : en coulisses, l’artiste s’intéresse à l’envers du décor, aux invisibles et aux laissés pour compte qu’il met à l’honneur dans certaines de ses œuvres et pour qui il engage des projets caritatifs. Il faut dire que lui-même a connu à la fois la gloire et la déshérence, les écarts de route et les « on the road again » : une intensité de l’existence dans toutes ses dimensions. C’est en effet en prison, et il l’assume d’autant que la suite de son parcours lui a valu une réhabilitation, qu’il a abordé la pratique artistique pour canaliser son énergie. Au départ, des toiles, des essais de techniques et beaucoup de portraits, des toiles accrochées chez lui sans qu’il n’en assume la paternité et qui ont très vite suscité l’engouement.
Geronimo aka Jumping Bull, un artiste au parcours extraordinaire.
Comme tout autodidacte et finalement comme tout artiste accompli, il est toujours surpris de la réception enthousiaste de ses œuvres. Ce fameux et irréductible sentiment d’imposture qui traverse l’inconscient de chaque créateur. La reconnaissance et le succès ne balayent jamais cette question récalcitrante de la légitimité à s’autoriser de son art. Le monde est un village pour Geronimo qui rencontre et se lie avec des icônes de la scène musicale, un président américain, un lama bouddhiste, un rabbin, ou un sans-abri. Peu importe la fonction ou les hiérarchies, cette curiosité de l’autre dans sa plus grande simplicité d’être humain efface toutes les barrières. Une enfance de Native American dans une tribu du Dakota lui donne un sens de la symbolique et une résilience à toute épreuve. Dans sa culture, le nom n’est pas donné à la naissance mais à l’adolescence, quand la personnalité s’est révélée : un nom qui symbolise alors ce que l’enfant est devenu. Pour Geronimo, ce sera Jumping Bull, celui qui passe tous les obstacles de la vie. Et rien n’est inaccessible pour cet artiste, qui côtoie icônes internationales de la musique, du cinéma et qui a même dîné avec le Barack Obama, après avoir réalisé une exposition itinérante de 51 portraits du président suivant sa campagne de second mandat à travers les différents états américains. Il en va de même pour ses créations, rien n’est impossible pour lui en termes de techniques, de matières, de formats, d’extravagances.
Les Stones, compagnons de route et source d’inspiration.
C’est surtout dans le sillage des Stones que Geronimo a développé ses créations en explorant différents supports et en initiant différentes séries d’œuvres. La rencontre avec Keith Richards a été déterminante : alors que Geronimo débutait ses recherches artistiques, il a commencé à faire des portraits qu’il a présentés au guitariste, lequel ne l’a pas ménagé et l’a poussé à se dépasser pour affirmer une singularité plus aboutie, au fil de portraits en représentation démultipliée sur différents types de supports pour un effet cinétique saisissant. S’en suit un parcours aux côtés des Stones, qui le conduira à s’inspirer de leur univers et de leur imagerie pour imaginer des œuvres en 3D déclinant les fétiches du groupe mythique : langues géantes, guitares, cassettes, vinyles en formats poussés aux limites. Les langues sont pour Geronimo un totem auquel il revient régulièrement avec des matériaux renouvelés : plexiglas, pneus ou canettes compressées. L’une d’entre elle a été acquise pour le compte du Guggenheim museum à NYC. Geronimo a aussi réalisé des scénographies et décors backstage pour les Stones. Et si l’artiste est inspiré par l’esprit rock, c’est l’homme qui est intarissable sur ses aventures en compagnie des légendes de la scène. Non pas pour en raconter les coulisses à la manière voyeuriste mais au contraire pour évoquer avec beaucoup d’empathie les moments de grâce dont il a été le témoin ou l’initiateur. Geronimo s’intéresse aux personnes qu’il rencontre, quel que soit leur statut, en toute humilité et simplicité, et suscite autant de liens et rencontres. Il se souvient avec un émerveillement intact d’un éminent lama émissaire européen des plus hautes instances tibétaines à qui il a fait rencontrer des Stones intimidés et impressionnés – tels leurs propres fans – devant l’aura monacale, qui noueront un attachement particulier avec cette personnalité qu’en apparence tout oppose à leur univers : le lama, invité à rejoindre un concert européen du groupe, finira par participer joyeusement aux chœurs de l’incontournable final Sympathy for the Devil. Quand Geronimo parle des Stones, c’est pour livrer, pour peu que son interlocuteur prenne le temps d’une écoute respectueuse, mille anecdotes touchantes qui témoignent du fait que l’on peut être une star mais que l’on reste aussi un homme parmi les hommes, avec ses doutes, sa bienveillance et son quotidien sans paillettes.
Back to the Roots Gold, 2022
Métal recouvert de feuille d’or 18 carats
Œuvre unique, signée “So Nice” par Mick Jagger
H145 x L95 x l9 cm
Une pratique artistique instinctuelle, sans limites.
C’est cette vie extraordinaire de rencontre avec des stars mondiales autant que des sans-abris, des religieux ou des rebelles, des acteurs, des politiques, qui nourrit la passion et l’inspiration de Geronimo, artiste, designer, qui se définit aussi comme alchimiste et pornocrate – entendre par là que le plaisir est sa règle de vie, à la table du banquet qu’offre l’existence. Geronimo partage son temps entre ses différents ateliers dans le monde, lui qui a gardé des attaches à la fois en Europe et aux États-Unis, dont un studio de création à l’image de la démesure de projets qui défient les impossibles, qui tient aussi lieu de cabinet de curiosités où sont scénographiés nombre d’exemplaires de ses œuvres et expérimentations emblématiques. Un lieu refuge que quelques proches peuvent pénétrer, où l’artiste se ressource en même temps qu’il pense les œuvres en devenir. L’artiste commence par penser la création, de façon instinctive, avant que la conceptualisation n’opère dans l’acte de faire, où sont convoqués techniques et matériaux les plus divers pour élaborer les prototypes d’œuvres qui seront ensuite déclinées en séries ou en thèmes. Le travail sur la matière et ses volumes est au cœur du process créatif, pour une approche iconoclaste mêlant l’esprit du pop art et son fétichisme de l’objet, design expérimental, arte povera pour la récupération et le recyclage.
Le travail sur les textures et les matières.
Geronimo travaille beaucoup les textures de ses œuvres, les reliefs, les rugosités, les sillons, ou au contraire les courbés lissées. Parmi ses premières séries, on retient une recherche picturale inspirée de la corrida au moyen d’épices pour composer à la fois les pigments de couleurs et l’aspect velouté ou granuleux des toiles. Pour l’artiste, il s’agissait de s’approprier les couleurs par les odeurs, son achromatopsie limitant la perception des éclats. Suivra une série consacrée aux sans abris, toiles et sculptures, avec un travail sur la rugosité du béton et de la pierre, autour des nuances de gris qui dessinent le décor de la rue. Là encore des objets sont mis en scène dans ses portraits des laissés-pour-compte : caddies, bancs, que des touches de feuille d’or soulignent comme seule richesse détenue par ceux qui n’ont plus de lieu. De la poudre de pierre, des pigments d’encre de Chine, pour recouvrir les vêtements qui se détachent à peine d’un banc sculpté en palettes recyclées : autant d’assemblages pour restituer une atmosphère singulière. Bien souvent, Geronimo crée pour aider, sans ostentation, humblement. Il développe des projets caritatifs qu’il accompagne et suit sur la durée, récoltant des fonds par la vente de ses œuvres et mobilisant les instances qui peuvent appuyer ces démarches bénévoles et purement humanistes. L’extravagance du personnage, mi sioux mi rock star, déambulant dans des accoutrements qui ne passent jamais inaperçus, ou conduisant des voitures de collection customisées de crânes, est une parure qui célèbre un rapport intense aux festivités existentielles, mais qui n’est jamais que la face outrancière d’une pudeur qui accueille toute altérité avec fraternité, sans préjugés.
Des œuvres en 3D monumentales.
Dans la démarche créatrice de Geronimo, la technique n’est pas un fin en soi mais est au service, soit de l’exaltation de l’objet culte, soit du message de l’œuvre. Au fil du développement de son travail, l’artiste fait coexister le règne de l’objet dans toute la démesure fétichiste du show off avec la face B, l’envers de la scène, le champ de la profondeur et de la gravité qui interroge la dimension tragique de l’existence. La vie, après tout, est irréductiblement à la fois une fête est une épreuve, et nous n’échappons pas à cette dialectique. Geronimo fabrique ses moules 3D à des échelles improbables, ses prototypes géants, convoque une machine dont il détourne l’utilisation pour creuser les microsillons de ses vinyles XXL, s’arrange pour qu’une presse s’adapte au format souhaité ; il en est de même pour les langues en tous matériaux, les guitares de 4 à 5 m d’envergure : Jumping Bull franchit toutes les limites. Les guitares sont pour lui des symboles dont il s’entoure avec passion : Il a constitué une collection d’instruments signés de toutes les légendes de la scène musicale internationale, qui occupe une pièce entière de l’un de ses lieux de vie.
La technique au service du message de l’œuvre.
La profusion de procédés imagés par Geronimo sert aussi à appuyer des propos venus d’un intérêt pour l’Histoire du XXe siècle et ses ténèbres qui planent toujours dans notre contemporanéité. Une rencontre avec un rabbin a inspiré un portrait tout particulier. Geronimo a pensé aux œuvres spoliées aux juifs durant la traque impitoyable des nazis. À première vue, un tableau qui s’appréhende comme un monochrome noir. En s’approchant, en faisant un pas de côté, selon un angle précis, on aperçoit alors le portrait du rabbin qui se révèle dans un jeu de transparences dont l’artiste a le secret. Une protection, un hommage aux justes qui ont caché des identités juives pour les soustraire au destin funeste. Le judaïsme dans ses différentes approches intéresse l’artiste, qui en a transcrit les principes dans une série d’œuvres. Shimon Peres, Ben Gourion, entre autres personnages historiques, sont représentés au milieu d’un parchemin de la Mer Morte rehaussé à la feuille d’or. Geronimo s’attache à puiser la matière à la source. Sables, pierres, venus de lieux mythiques, alimentent ses créations. Un autre travail s’inspire de la Kabbale, où le tracé de l’arbre symbolique apparaît seulement dans le noir, en phosphorescence, lorsque l’on contemple la toile toutes lumières éteintes. Le thème du Mur des Lamentations a également fait l’objet de réalisations avec de la terre d’Israël : des sculptures monumentales fidèles au tracé et à la végétation de ce lieu témoin. Geronimo raconte avec émotion à ce propos un voyage en Israël avec Joey Starr, une rencontre déterminante, nourrie d’une curiosité réciproque. Les voilà tous deux réunis pour participer à un dîner organisé au pied du Mur des Lamentations, moment gravé parmi d’autres. Les œuvres ont très souvent une histoire personnelle et ont été conçues dans des contextes particuliers marqués par une humilité humaniste. Geronimo aime dire qu’il peint des idées et sculpte des concepts. Il a aussi réalisé un portrait de 3m x 3m d’un tyran incarnant le mal absolu, décomposé en mosaïque de photos glaçantes, comme pour dilapider à jamais ce visage de la haine ultime.
Un parcours artistique hors-normes.
De sa première initiation – en autodidacte – à la pratique artistique pour canaliser ses sorties de route, depuis le premier regard encourageant porté sur ses toiles liminaires, suivi de façon inattendue d’un reportage consacré à son travail dans une émission dediee à l’art en Belgique, lui ouvrant les portes d’une exposition initiatique dans un musée d’art brut, jusqu’à l’œuvre prolifique que Geronimo déploie aujourd’hui, une constante : un foisonnement éclectique de thèmes, de matières, de procédés, de formats, une œuvre déroutante à la mesure d’un personnage insaisissable et définitivement irréductible aux catégories, éminemment présent à la vie, dans ses manifestations à la fois naturelles et superficielles, entre gravité du réel et légèreté de la scène. Une œuvre pléthorique qui est une ode à l’existence dans tous ses reliefs et soubresauts, une plongée dans les profondeurs des ténèbres autant qu’une envolée flamboyante sous les projecteurs.