Le Module de Zeer, matrice de l’œuvre de Mehdi Cibille, se développe en se répliquant à l’infini des possibles. Cette dynamique virale de la forme constitue le propos d’une œuvre expérimentale et auto-référentielle, qui s’attaque avec malice à tous les supports et toutes les surfaces, surprenant toujours celui ou celle qui en rencontre les méandres. Mehdi Cibille explore toute la démesure des duplications imaginables de son Module dans un espace aux dimensions multiples. Du logo au logos, le graphisme expansé discourt sans fin, comme un langage gouverné par sa propre raison, un énoncé performatif qui déploie sa propre effectivité. Le Module nous invite à appréhender les déterminismes qui happent notre subjectivité, les mécanismes qui nous piègent et nous réduisent à la condition d’objet.
Expérience immersive au cœur du Module de Zeer
L’artiste pousse parfois la confrontation à l’extrême, comme il a pu le faire à Vannes (Dédale) où il a présenté en 2020 une sculpture modulaire de Zeer en trois dimensions dans un White Cube, pièce dans laquelle chaque spectateur fait une expérience immersive qui le place au cœur des rouages de l’engrenage. L’espace est saturé des proliférations du Module qui surgit du sol vers les auteurs, s’étale dans l’horizon des perspectives, à travers une complexité d’embranchements qui s’appuient sur la matière (colonne de bois, grillage, mousse), comme un organisme vivant insatiable, métabolisant tout sur son passage. Cette version monumentale et radicale du Module de Zeer est toujours visible aujourd’hui et l’installation mérite un détour par ce lieu dédié aux cultures urbaines, Dédale comme Des Expériences Des Artistes Lieu Éphémère, un projet urbex dans la friche d’un ancien bâtiment administratif de la région.
Un jeu modulaire en expansion permanente
Si les questions ouvertes par le propos artistique de Mehdi Cibille sont des questions essentielles qui concernent notre subjectivité et notre spécificité humaines dans un monde où la fonction symbolique tend à être évincée par l’emprise d’un ordre numérique et mécanique, dans lequel le fonctionnement fait figure d’idéal, au mépris du sens et du désir, elles sont pourtant abordées par l’artiste avec beaucoup de dérision, à travers une forme qui reste une proposition ludique. Mehdi Cibille renouvelle son travail en donnant de l’amplitude au Module par l’exploitation de nouveaux modes de duplication de ce graphisme matriciel : une recherche à la fois esthétique et sémantique car fondamentalement, ce module déroule un propos visuel singulier et signifiant.
De l’art urbain à la recherche esthétique signifiante
Une nouvelle direction est donnée au module sur la toile monochrome lorsque la forme se détache par sa texture et son relief. Mehdi Cibille est très attaché à l’art urbain qui est à l’origine de son parcours, et continue d’associer à son travail des matériaux collectés dans l’espace public. Il intègre ainsi de nouveaux composants, venus de l’extérieur, à l’intérieur de l’œuvre, comme autant d’éléments témoins de vies et d’événements qui renouvellent la consistance du Module. Dans des expérimentations récentes, l’artiste a pu utiliser la silice ainsi que du sable fin prélevé à Nîmes où il vit. Les grains de sable apportent une aspérité qui peut-être est l’élément perturbateur du rouage mécanique de la dynamique d’expansion effrénée de ce Module, une rugosité qui humanise la perfection matricielle ? Cette agglomération de grains de sable nous rappelle-t’elle notre force d’individus par rapport à ce qui nous dépasse et nous détermine ? Une manière pour l’artiste d’introduire la vie et ses marques, le temps long et l’usure, le cycle des éléments, la spécificité du lien social, comme ce qui irréductiblement vouera à l’impasse le déploiement extensif de process et protocoles standardisés et déshumanisés. Dans la démarche de Mehdi Cibille, l’apport de ces éléments de l’espace extérieur commun à la création en atelier est une manière d’ancrer l’art dans le réel. Cette quête de la collision entre le Module et la matière est aussi ce qui fait évoluer le motif et la forme. L’artiste entend, dans cet élan créatif, se tourner davantage vers la sculpture qui ouvre les perspectives de cette recherche combinatoire entre matière, volume et forme.
Takashi, 2020
Acrylique et silice sur toile
Oeuvre unique, signée
H100 x L100 cm
Margaret, 2021
Acrylique et silice sur toile
Oeuvre unique, signée
H100 x L100 cm
Réunir l’Art et la Science ou la portée politique du Module de Zeer
En 2015 Mehdi Cibille avait réalisé une toile monumentale de 100 mètres 10 x 10m) à la Maison du Peuple à Clichy, avec tous les outils et matériaux de la rue. Bâtiment illustre de la ville, cette architecture fonctionnelle transformable, emblématique de l’action politique du Front populaire avait été classée monument historique en 1983. Une construction innovante de métal et de verre coulissant conçue par les architectes Eugène Beaudouin et Marcel Lods, en partenariat avec les ateliers Jean Prouvé dans les années 30. La Maison du Peuple a été déclassée et cédée au domaine privé peu de temps après la réalisation du Module de Zeer, décision suscitant de nombreuses polémiques alimentées par nombre de projets avortés dont celui d’une tour envisagée par l’architecte Rudy Riccioti. En 2022 la réhabilitation est finalement confiée par la ville et le Ministère de la Culture au groupe Alain Ducasse pour un concept célébrant l’art de vivre et l’artisanat culinaire… Pendant plusieurs mois, en 2015, Mehdi Cibille avait investi les lieux et fait de la friche qu’était devenue cette Maison du Peuple délaissée – tout en symbole – un atelier monumental pour déployer ce Module lui aussi porté par une utopie : celle de l’union de l’art et de la science, du pourquoi et du comment, pour élargir nos horizons et sublimer le progrès.
Le prolongement du Module : les ateliers de logologie
Afin d’ouvrir son travail inlassable et inépuisable sur le Module à d’autres applications qui en prolongent le sens, Mehdi Cibille a imaginé un atelier de logologie s’inscrivant dans la lignée de l’abstraction pratiquée par Jean Dubuffet, à la fois esthétique, ludique et ironique, interrogeant le langage et ses formes. L’idée est que chaque forme est un univers à part entière et contient un propos discursif. Le logo déploie le logos : quel discours porte la forme ? Il s’agit de faire entendre que l’abstraction est génératrice de sens, et cette articulation indissociable entre le discours et la forme, Mehdi Cibille l’interroge dans ses workshops proposées dans les écoles, universités, grandes écoles, institutions. Chaque participant est invité à créer une forme abstraite à partir de trois idées attachées à trois formes. Pour Mehdi Cibille, l’art n’est pas qu’une esthétique, il étaye aussi une fonction : donner les clés de lecture de ce qui nous entoure, hors des certitudes et des explications closes. L’art nous permet de percevoir l’équivoque du sens et c’est ce qui nous préserve des totalitarismes. C’est pourquoi l’artiste ouvre sa réflexion autour du Module, au-delà du métaphysique, au monde, tel qu’il est, tel qu’il va, dans toutes ses manifestations.
Le Module de Zeer au Japon
Actuellement le Module de Zeer voyage à travers le Japon, seule entité, semble-t-il, à pouvoir passer outre les frontières d’un monde désespérément fermé – l’artiste restant soumis aux restrictions d’une circulation que l’on pensait libre… La résonance de la dynamique virale de réplication du Module au monde oppressant de repli sur soi et de mise à l’écart de la vie sociale quand, en ces sombres temps pandémiques, seule la vie biologique est prise en compte est tout à fait sidérante. L’œuvre parcourt le monde ; l’artiste reste assigné à résidence. C’est la collectionneuse Agnès B qui a invité Mehdi à présenter son travail avec une exposition itinérante au Japon, dans les galeries associées à ses boutiques. D’abord exposés à Tokyo, les dessins, tableaux et œuvres sur panneaux de bois de Mehdi Cibille vont bientôt se déplacer à Kyoto. L’exposition s’intitule Persévérance, un clin d’œil au « module » spatial qui s’est posé sur la planète Mars, une référence aussi à la science qui inspire le travail de l’artiste, quand le progrès transforme ce qui relevait de la science-fiction ou du rêve en hubris vertigineux du présent
Le mouvement graffiti, de l’avant-garde aux rétrospectives
La créatrice de mode avait repéré les apparitions des œuvres du Module de Zeer dans les rues de Paris avant de l’inviter à collaborer pour des défilés, ou encore à réaliser des installations qui participent du design de ses boutiques.
On pourra découvrir une œuvre de Mehdi Cibille parmi celles des artistes venus de l’art urbain dans la FAB d’Agnès B à l’occasion de l’exposition collective Graffiti qui marque les 50 ans de la collection d’art de la créatrice. Durant tout l’automne, la FAB célèbre ce mouvement pour lequel Agnès B a nourri un intérêt particulier et qui a résolument marqué son parcours de collectionneuse. Le graffiti investit tous les espaces de la FAB et de son environnement urbain sur la place Jean-Michel Basquiat dans le 13eme arrondissement de Paris – quartier aujourd’hui émergent et dynamisé par nombre de projets artistiques – pour une rétrospective réjouissante qui prouve, s’il était besoin, que le graffiti suscite toujours autant d’engouement. Un ouvrage, Sur nos murs, 40 ans de graffiti avec Agnès B, est publié en appui à cet événement (éditions Textuel). Il réunit une soixantaine de graffeurs soutenus par cette créatrice et collectionneuse avant-gardiste qui a découvert les pionniers du mouvement dans le New York des années 1970, puis dans le Paris des années 1980, et qui restera fidèle aux précurseurs tout en contribuant à révéler les nouveaux talents qui perpétuent l’esprit frondeur du graffiti aujourd’hui, dont fait partie Mehdi Cibille.
Hatchikian Gallery présente une sélection d’œuvres de Mehdi Cibille
À la fois figuratif et abstrait, le Module de Zeer est empreint d’une énergie qui recompose à l’infini nos lignes de perception. Qu’il nous échappe ou qu’il nous happe, il nous entraîne dans un jeu déroutant, qui ne paraît ludique que parce qu’il pose de sérieuses questions, comme il en est des tourments humains, à la fois dérisoires et graves.
Hatchikian Gallery a le plaisir de présenter une sélection d’œuvres de Medhi Cibille aka Le Module de Zeer comme Zone Expérimentale d’Expression Relative, un artiste qui a toujours été présent dans le parcours de collectionneuse et de galeriste d’Audrey Hatchikian. Découvrez les œuvres les plus récentes de Mehdi Cibille dans notre Art Loft, où nous vous présentons des accrochages qui mettent différents artistes en regard pour faire vivre les échanges artistiques.
OXX, 2017
Acrylique sur toile
Oeuvre unique, signée
H50 x L150 cm