Est-ce le décor contrasté de son enfance, des maisons alignées, un bassin industriel dans un écrin naturel paysager, qui a imprégné l’univers artistique de Nelio, dont l’œuvre joue une partition de nuances entre minimalisme formel et expressionnisme abstrait, comme une tentative de faire coexister, dans un propos esthétique, des idées en apparence antagonistes ?
Un apprentissage iconoclaste.
La recherche iconoclaste de Nelio, affranchie de l’académisme des courants artistiques, s’élabore aussi de la confrontation de deux pratiques, deux gestuelles marquantes du parcours de l’artiste : le graphisme, l’illustration et leur conception maîtrisée et codifiée de lignes, couleurs et figures stylisées d’une part, et l’art urbain dans son élan spontané, fulgurant et imprévisible d’autre part. Deux pratiques que Nelio a expérimentées en autodidacte, à travers un apprentissage empirique et intuitif, nourri de rencontres inspirantes et de dialogues initiatiques avec d’autres artistes au gré des festivals, des résidences et des voyages. Entre les opposés qui animent l’œuvre de Nelio, un lien peut-être : la liberté du dessin qui a toujours accompagné l’artiste en devenir, comme un langage parallèle pour saisir des nuances que les mots gomment et réduisent parfois.
De part et d’autre des lieux d’art.
À 25 ans Nelio s’installe à Lyon et cofonde une structure destinée à créer des passerelles entre le graphisme et l’art, à la fois atelier de sérigraphie et lieu culturel. Il réalise, imagine, conçoit, s’initiant aussi à la scénographie d’expositions en tant que curateur, confrontant ses apprentissages à ceux venus d’autres propos esthétiques. Une manière d’ouvrir grand les portes entre la rue et la galerie, de démocratiser l’art et le rendre accessible à tous. Ce point d’attache n’empêche pas Nelio de continuer à pratiquer l’art en espace public, dans l’esprit vandale qui stimule l’immédiateté de la gestuelle créatrice.
L’audace de l’art inspiré des topologies architecturales.
Un long voyage à travers l’Australie, jalonné de rencontres décisives, convainc Nelio de s’orienter vers la création pure, vers l’Art avec un A majuscule. Ou l’audace de passer de ce qu’il définit comme un artisanat à l’Art, oser l’inconnu et l’imprévisible de l’élan créatif. À partir de 2011 Nelio poursuit sa route en artiste, réalisant des fresques murales à l’invitation d’institutions et de festivals sur les différents continents, dans diverses grandes villes du monde où il a laissé son empreinte. Son œuvre joue des codes de la pratique urbaine pour déployer un univers formel singulier de compositions qui entremêlent le style de l’illustration, notamment autour de l’architecture, avec des références à l’histoire de l’art qui donnent une profondeur esthétique remarquable à son travail. Ses réalisations murales abstraites semblent se fondre comme des mirages dans leur environnement architectural et paysager, ouvrant grand l’horizon de l’imaginaire pour les passants. Pour Nelio, Une œuvre murale se conçoit nécessairement « in situ », comme une mise en abîme de la géométrie dans laquelle elle s’insère, en écho avec le lieu support. La profondeur visuelle des réalisations convoque le regard du spectateur qui pénètre littéralement dans l’œuvre. Un design graphique de formes et couleurs qui associent le construit et le rêve comme des décors fantasmagoriques stylisés. L’artiste décloisonne les villes p ar sa peinture, en offrant des espaces d’évasion par-delà les murs de béton. Dans ces séries d’œuvres qui prolongent des ensembles architecturaux d’une perspective onirique, les influences du constructivisme, du suprématisme ou du cubisme, entre autres mouvements de l’art abstrait, traversent l’épure. Nelio découvre alors que son nom d’artiste signifie carré en finlandais, ce qui le conforte dans sa recherche nourrie des réflexions de Malevich explorant les possibles du carré comme forme générique, décomposée, diffractée, aux infinies recompositions possibles.
L’œuvre de Nelio, entre épure minimaliste et densité expressionniste.
L’évolution du travail de Nelio vers l’atelier et la toile s’impose comme évidente au regard de ses compositions qui s’appréhendent comme des entités de fragments associés dans un jeu de perspectives créant un mouvement dynamique d’équilibre en devenir, déployant des espace-temps qui se métamorphosent en une dialectique non linéaire. L’éphémère et l’imprévisible de l’évolution d’une œuvre murale ont pu stimuler son processus créatif sur toile. L’œuvre de Nelio se situe désormais sur une ligne de crête instinctive entre minimalisme épuré et densité saturée, entre art conceptuel et expressionnisme abstrait, déjouant les frontières et les classifications. Nelio définit sa recherche d’abstraction comme une manière de passer de la forme à l’informe, du connu à l’inconnu, du simple au complexe insaisissable. Cette recherche suppose un élan créatif libéré, dans un mouvement instable où la spontanéité agit comme un garde-fou à l’enfermement pour laisser advenir la surprise de l’inattendu, l’aléatoire et l’inachevé. L’évolution en atelier est aussi une trajectoire d’affranchissement de l’égocentrisme du graffeur qui dans sa toute-puissance marque un territoire de sa singulière typographie, pour aborder l’art d’une posture humble à travers une dimension plus universelle. Nelio déambule dans les musées qu’il découvre au fil de ses voyages et convoque les références qui l’inspirent dans ses œuvres, comme une manière de trouver une place où s’inscrire dans l’histoire de ce monde commun artistique.
Des séries évolutives pour explorer les nuances de l’abstraction.
Nelio travaille beaucoup par séries pour tenter de composer avec les deux orientations que sont le minimalisme et l’expressionnisme abstrait, ou encore l’infiniment lointain et l’intime intériorité. On retrouve d’un côté l’approche structurale, épurée, les aplats de couleur, les lignes inspirées des rythmes architecturaux, le formalisme d’un travail qui s’adapte à l’existant. De l’autre des compositions denses, complexes et introspectives qui explorent les méandres inconscients dans des formes organiques et colorées, jouant sur les effets d’accumulations. Nelio oscille en permanence entre ces deux pôles qu’il cherche pourtant à faire coexister par la création de pièces intermédiaires introduisant un lien, dans le déploiement au long cours de séries évolutives qui révèlent les nuances du passage d’une approche à l’autre, tentative d’en dépasser les contradictions par des figures affranchies de l’identifiable. La scénographie de présentation des œuvres est particulièrement importante pour Nelio, qui de sa propre expérience de curateur, perçoit là un cheminement possible entre des œuvres antagonistes, guidant subrepticement le spectateur à travers les tonalités que peut revêtir le lien invisible entre les différentes manières de représenter le monde. Nelio considère que chacune de ses expositions doit se lire comme le chapitre d’un ouvrage en cours d’écriture, celui d’une histoire en devenir, jamais figée dans les déterminismes apparents.
2208241946, 2022
Acrylique sur toile
Œuvre unique, signée
H80 x L60 cm
Une recherche esthétique en devenir.
Un questionnement de l’artiste : privilégier l’expressionnisme pour le travail sur toiles qui permet ce processus de densification dans le temps, et poursuivre la recherche minimaliste à travers les projets muraux in situ ainsi que dans les bas-reliefs et sculptures qui apportent une nouvelle dimension aux lignes épurées ? Les volumes de la sculpture donnent une perspective supplémentaire à ce travail sur la forme abstraite entremêlant le jeu des couleurs, la topologie des reliefs et les effets de matière. Dans le même esprit, Nelio souhaite engager l’évolution de sa pratique en extérieur vers le Land Art, une approche qui s’avère particulièrement stimulante pour jouer de la géographie naturelle en y inscrivant ses compositions abstraites.
La temporalité créatrice entre instinct et lente réflexion.
Au fil du développement de son travail en atelier, Nelio interroge la temporalité de la création qui se redéfinit. La démarche peut être rapide et instinctive, ou bien prendre la forme d’un corps à corps de l’artiste avec la toile dont l’horizon d’aboutissement reste indéfini. La toile ouvre le possible d’une densité de strates empreintes de multiples interventions, et Nelio se donne aujourd’hui le loisir de recourir à ce même traitement y compris sur des toiles d’aspect minimal, pour s’attacher aux détails qui éclairent le champ du sens d’une pluralité ouverte aux interprétations.
Suggérer plutôt que démontrer.
Nelio travaille avec le souci de dévoiler aux spectateurs des œuvres ouvertes à la diversité des significations, des projections de chacun. Ne pas donner trop de clés de lecture, ne pas enfermer dans des explications mais plutôt ouvrir les horizons de la pensée. Les titres de ses créations font écho à ce principe. Souvent, ces titres sont composés de chiffres paraissant précisément indéchiffrables mais qui pour l’artiste sont un repère qui ancre l’œuvre dans des coordonnées temporelles, année, mois, jour, heure et minute. Des chiffres plutôt que des mots pour ne pas dire ce que dit la peinture, mais la rattacher au réel de l’acte créatif. Parfois, pourtant, un choix de mots, de phrases : des mots poétiques, politiques, venus d’inspirations philosophiques ou de recherches lexicales qui donnent des pistes ouvertes à tous les chemins de pensée possibles.
2209161744, 2022
Acrylique sur assemblage de bois
Œuvre unique, signée
H30 x L21 x 3 cm
2209202146, 2022
Acrylique sur assemblage de bois
Œuvre unique, signée
H30 x L21 x 2,5 cm
Des inspirations pour oser l’inédit.
Devenir artiste, en venant du graphisme, c’est travailler à prendre confiance en soi, dépasser l’inévitable question de sa propre légitimité, s’émanciper de la maîtrise et de l’équilibre qui prévaut dans l’artisanat pour accueillir la surprise de l’inédit. Auparavant, Nelio travaillait beaucoup à partir de dessins, de croquis, d’essais de couleurs et d’aplats dans une démarche perfectionniste, sachant à l’avance quel serait le rendu fini. Mais l’Art n’est pas un travail d’exécution, il y a cette dimension romantique qui s’invite par effraction dans la genèse d’une œuvre. Oser les techniques utilisées à contre emploi, bousculer, perturber : l’artiste s’éloigne des voies tracées ex ante qui conduisent à la lassitude. Nelio découvre de nouveaux outils et procédés alors qu’il rénove, depuis quelques années, une ruine au cœur de l’Ardèche. Ce travail éminemment physique l’inspire pour son propos artistique : il détourne le mode opératoire pour que la technique ne prenne jamais le pouvoir sur la création, afin d’échapper aux déterminismes sclérosés pour laisser advenir, imprévisible, le désir, l’énergie qui libère la création.
Le monde de Nelio est coloré de toutes les nuances de l’ambivalence qui parcourt notre rapport au monde, de ces paradoxes qui sont le sel de la vie, de cette complexité du désir, des contradictions qui nous mettent en mouvement. Le monde de Nelio est dense des questionnements picturaux qui jamais ne s’épuisent. Il est ouvert aux perspectives toujours renouvelées par notre regard.